LA THUNE DU CANIVEAU
Paru dans Technikart n° 76
Il a longtemps tutoyé la lose avant de saisir la chance de sa vie. Il aurait pu devenir Nagui mais marche aujourd'hui sur les traces de Jean-Luc Delarue. Avec son statut de présentateur-star et sa boîte de production, Benjamin Castaldi pose patiemment ses pions sur l'échiquier de la télé-réalité. «Technikart» a enquêté sur sa réalité à lui.
Lisez et imaginez. Vous avez entre 5 et 10ans, vous visitez l'intérieur du Concorde avec votre grand-père. Quand celui-ci vous dit: «Allez, on va à New York…» Le problème, c'est que votre grand-père, c'est Yves Montand. Le «Papé» (Manon des sources), «Blaze» (la Folie des grandeurs), le type qui s'est tapé Marylin (Let's Make Love)… A la même époque, vous passez vos vacances en Normandie. Votre grand-mère vous prépare des bulles de savon. Le problème, c'est que votre grand-mère, c'est Simone Signoret! Casque d'or, la Veuve Couderc, Madame Rosa… Vous suivez toujours? Quelques années plus tard, vous grandissez dans une famille de comédiens. Soudain, vous réalisez que vos propres parents - Jean-Pierre Castaldi et Catherine Allégret - n'ont jamais connu que le chômage ou des troisièmes rôles (récemment Caïus Bonus dans Astérix, Ginou dans Navarro). Vous faites quoi? «J'ai fait une crise d'adolescence tardive à 20ans où j'ai pris en grippe tout ce monde-là. Je leur disais: vous me faites tous chier, bande de saltimbanques. Vous êtes des nuls, des fainéants. Et moi, je vais vous montrer ce que c'est
http://bbs.cttqvi.com/showtopic-23630.aspx. Moi, je vais bosser huit heures par jour et je vous emmerde!»
Paris XVIe arrondissement, quatrième étage d'un immeuble en verre de la rue Pergolèse: Benjamin Castaldi sautille sur place, distribue du «Cinq minutes» à qui en veut, ouvre des portes et puis les referme. On dirait Dechavanne au mieux de sa forme, tendance Fonzarelli (Happy Days). A 33ans, celui qui voulait devenir Bernard Tapie savoure déjà sa victoire. A la tête de B3 Com, sa société de production (dont il vient de céder la moitié des parts à Lagardère), il est le nouveau producteur qui monte au pays de la télé-réalité. Satellisé par M6 qui cherche à tout prix à contourner Endemol depuis l'affaire Nice People - un sous-Loft revendu à TF1 -
http://www.mmonsterbeats.eu, le voilà sur les traces de Jean-Luc Delarue. Premier galop d'essai: le débat-fiction Tout les oppose, une vague resucée de Vis ma vie, Strip-Tease et C'est mon choix, dans laquelle deux bandes d'amis (des gros et des minces, des pédés et des motards, etc.) cohabitent le temps d'un voyage en bus. «J'ai été très content de produire une émission sur les gays, explique le mari de Flavie Flament. Pour la première fois à la télé, des vrais gens abordent la question que tout le monde se pose: qu'est-ce que ça fait de se faire enculer?»
LESSIVÉ À LOS ANGELES
Formé à l'école Drucker (sois sympa, signe des autographes, dis bonjour à la dame), cet ancien obèse, fan de cinéma, de voitures de sport et de gadgets électroniques, s'est imposé en quelques années comme le gendre idéal et polyvalent du PAF: la caricature du type normal et sans défaut. Un hymne vivant au travail et à la souffrance qui parle comme Jean Gabin («J'en ai chié des ronds de chapeau») et s'accroche à des principes qu'on croirait sortis du pense-bête de Nadine de Rotschild («On ne crache pas dans la soupe», «On ne mord pas la main qui vous nourrit»). Rôle de composition?
Pour Castaldi («Benji» pour les intimes), tout commence à la fin des années 80 par une histoire digne d'un film pour ados. Enfance à Vincennes (la version droite charentaises de Neuilly-sur-Seine), scolarité à l'Ecole alsacienne (le lycée des kids du show-bizz), le futur présentateur du Loft glandouille gentiment à la Sorbonne quand sa mère lui coupe les vivres: «J'étais plutôt un étudiant à l'aise, je sortais comme un fou. Je ne me déplaçais qu'en taxi. Du jour au lendemain, j'ai dû compter les tickets de métro.» Logé dans une chambre de bonne place Dauphine, à deux pas de l'appartement des grands-parents, il postule pour un poste de coursier chez Fringales, la société qui lui livre ses pizzas. «Je suis arrivé en costard. Ils m'ont dit que pour la livraison, ça ne le ferait pas mais qu'en revanche, ils cherchaient un attaché de direction.» Obsédé par la «gagne», Castaldi se voit déjà en Bill Gates des peperroni: «J'ai vendu tout ce que j'avais pour entrer dans le capital. En un an et demi, je suis devenu le directeur. Je bossais dix-huit heures par jour…»
Quelques kilos (il pèsera jusqu'au quintal) et un dépôt de bilan plus tard, le manager en herbe part à Los Angeles relancer la carrière d'Esther Galil, la chanteuse oubliée des 70's (Le jour se lève sur ma peine). «Esther fréquentait des musiciens de folie comme Jeff Koz (le roi de la muzak, NDLR) ou Billy Steinberg (producteur de Céline Dion). Je suis allé les voir, j'ai loué une Mercedes 500 décapotable, un bateau au port. Restaurant midi et soir… Quand je suis revenu en France, j'étais une main devant une main derrière. Ils m'avaient tout pris, jusqu'à mon slip.» Nouvel échec, nouveau régime. Le gros bébé qui «voulait tout sauf devenir artiste» patauge dans la piscine familiale quand sa mère l'envoie chez Drucker. Premiers essais caméra, il ressort chroniqueur cinéma pour Studio Gabriel. Mais, là encore, c'est l'autoflagellation: «Pendant un an, j'ai souffert le martyre, j'étais nul, je me trouvais à chier.» Le week-end, il travaille sa diction, un crayon dans la bouche, répète sa gestuelle avec un magnétoscope. Suivront Vivement dimanche (France 2), l'Etoffe des ados (la Cinquième), Fous d'humour (France 2), puis Célébrités (TF1) aux côtés de Stéphane Bern et enfin… le Loft. «Quand M6 est venu me chercher, ils avaient contacté la terre entière. Tout le monde avait refusé, même Patrick Sabatier. Moi, j'étais crevard sur TF1, j'avais quitté ma première femme et je gagnais pas un radis. Qu'est-ce que j'avais à perdre?»
LA TORNADE «LOFT»
Avril 2001, un dessin de Plantu en «une» du Monde : Loft Story assimilé à un camp de concentration. En quelques jours, la première émission de télé-réalité fait basculer la France dans l'hystérie: tollé à l'Assemblée, menaces de mort, audiences record. Castaldi présente le show dont tout le monde parle mais lui, curieusement, ne pense qu'à une chose: va-t-il, oui ou non, s'acheter une Ferrari (il en a enfin les moyens)? Inconscient du danger, protégé en permanence par un garde du corps, il carbure au Crystal Roederer (une vraie passion) sur les plateaux, fait des pompes pendant les réunions, imite Charles Aznavour et se lance même dans des impros qui font se bidonner la production: «Si vous voulez voter pour cette grosse p… de Loana, appelez le 08 36 etc.», lâche le grand frère des lofteurs entre deux prises. Dépassée par les événements, l'équipe campe sur place et fait les trois-huit. Mais lui multiplie les micro-siestes sur la moquette et les parties de Playstation. «Il lisait les textes au dernier moment et n'en branlait pas une. C'est probablement le type avec le plus grand baobab dans la main que j'aie jamais vu», se souvient un ancien collaborateur. «J'étais coupé du monde
monster beats, j'allais faire mon émission à Europe 1, on m'emmenait à la Plaine-Saint-Denis, on me ramenait chez moi, je faisais la fête jusqu'à 3h00 du matin, explique Benji. Et puis tout recommençait. En fait, j'étais complètement à l'ouest.»
Retour sur terre? Après trois semaines d'émission, le collectif Souriez, Vous Etes Filmés
http://www.cms.web.gg/read.php?tid=17081! bouche l'entrée du siège de M6 avec un mur de détritus; les accrochages se multiplient entre vigiles et anti-Loft ; la production croule sous les lettres d'insultes, les cercueils miniatures, les préservatifs et les serviettes hygiéniques usagées… Même l'assemblée des actionnaires de Suez - qui possède 35% de M6 - est chahutée par des téléspectateurs mécontents. Quant à la mère de Benjamin, elle déclare que l'émission présentée par son fils est tout simplement… «ignoble».
Harcelé, parano, soumis à une pression médiatique démesurée, Castaldi voit «la mort en direct» (un autre concept d'émission) quand il se fait entarter dans sa voiture à la sortie d'Europe 1. «Quand la portière s'est ouverte, j'ai cru que c'était une barre à mine.» Rapatrié dare-dare aux studios, il hurle, la veste maculée de chantilly: «Mais putain, ça veut dire que n'importe qui peut rentrer dans ma bagnole?» Stupeur. «C'est à ce moment-là qu'il a commencé un peu à péter les plombs», regrette un assistant. Course-poursuite avec les paparazzi, procès en séries, trahison d'un proche qui vend sa vie privée aux journaux…
«SE PAYER CE QUI BRILLE»
Pour rester zen, Castaldi file le parfait amour avec celle dont il vient de diviser l'audience par deux (Flavie Flament présente au même moment Exclusif sur TF1), collectionne les Rolex et les voitures (une Porsche Bi-Turbo, une Mercedes 600 SL, un 4x4 BMW X5), mange des pâtes à 17h00 et se paie le luxe de marquer ses distances avec l'émission: «Je ne me suis jamais gêné pour alerter les lofteurs sur les dangers d'une notoriété trop rapide. C'est même la seule fois où je me suis frité avec Endemol. Ils voulaient que je considère les candidats comme des stars.» Justicier du Loft? Il va jusqu'à s'opposer à la production qui cherche à faire monter la mayonnaise avec la mort du grand-père de Jean-Edouard. «J'ai dit à Courbit et Laroche-Joubert: moi, je mettrais pas en scène le décès du pépé. Au début, ils voulaient faire un magnéto, un machin truc… Hors de question. Sinon, je me casse!» Après quelques allers-retours à l'île Maurice, le prince charmant de la télé-poubelle encaisse les dividendes du Loft (C'est la jet-set, C'est leur destin, Spéciale Popstars, QI: le grand test), fait la promo des familles recomposées dans Paris-Match et emménage à Bougival. Obsédé par le fric, il trouve encore le temps de faire de la radio et multiplie les ménages (Convention Gaz de France, Remise des Bourses Lagardère). «Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi préoccupé par l'argent», se souvient Camille Saféris, ancien chroniqueur de Studio Gabriel. «Disons que c'est un garçon qui ne s'encombre pas. Il a besoin de se payer ce qui brille, son nombril l'intéresse beaucoup», ajoute une collaboratrice d'Endemol.
BASTON AVEC STÉPHANE COLLARO
Déçu par le casting du Loft 2, rendu furax par l'attitude de William, il ne décolère pas. Surtout depuis qu'on lui a volé 1500 en liquide dans sa loge… Pour se rattraper, Castaldi négocie l'exclusivité des photos de son mariage avec l'agence Angéli pour 122000. De quoi faire quelques réserves pour le divorce. Mais encore plus qu'ailleurs, c'est au volant d'une voiture qu'il se révèle sous son vrai jour: le parfait kakou en mal d'amour. Grand sportif, conducteur méritant, il participe à une course de VIP à Magny-Cours quand Stéphane Collaro lui emboutit l'arrière après une série de queues de poisson - «C'était une course de vitesse, il faut pas me demander de respecter le code de la route.» A bout, l'ancien producteur du Bébête Show sort de son véhicule et fonce vers lui. «Il beuglait un truc, du genre "ESPEEEECE D'ENCULÉÉÉ!" Je me suis avancé vers lui. J'avais encore mon casque. Je lui ai fait comprendre qu'il me parlait une fois comme ça mais pas deux. Parce que bon, y a des trucs qu'on dit pas aux gens. Et puis faire de la course avec trois grammes dans le sang, c'est pas ce qu'il y a de mieux.»
Comme Tom Cruise dans Risky Business, Castaldi ressemble à ces ados fortunés qui cherchent à tuer le père dès qu'il a le dos tourné en lui empruntant les clés de sa Porsche. Même besoin phallique de surpuissance, même recherche désespérée de reconnaissance sociale… Un film culte de Paul Brickman (1983) que Castaldi, cinéphile averti, connaît par cœur. Un film dont le héros marmonne au volant de sa Carrera: «S'il y a un truc que j'ai appris toutes ces années, c'est que parfois il faut savoir se dire: "ET MERDE!"»